Approche géopolitique de la nation

La nation : une idée-force de la géopolitique

Extrait de B.Loyer « Géopolitique, méthode et concept » Armand Colin, 2019

La Nation est une construction mentale collective qui repose sur des faits historiques choisis et agencés pour leur donner un sens et fonder une communauté de destin en rassemblant des populations plus ou moins dissemblables. C’est plus qu’un imaginaire, parce qu’entre en jeu une action de l’État pour forger sur une longue période les éléments constitutifs d’un sentiment national (impôt, armée, justice, langue, école) et parce qu’elle se détermine sur un territoire précis. Dans le cas des nationalistes sans État, un mouvement ou un parti construit ces mêmes éléments : drapeau, enseignement (même clandestin) de la langue, cartographie, récit historique. Du point de vue de ceux qui adhèrent à cette représentation, c’est une vérité, certains étant prêts à mourir ou tuer en son nom.

Avec la création de l’Organisation des Nations unies, la fin des empires, puis celle de l’URSS, le concept de Nation s’est largement diffusé dans le monde au cours du xxe siècle. La plupart des pays décolonisés ont conservé les frontières de la période coloniale, et la référence à la Nation est souvent le socle de légitimité des États ayant pris la suite des puissances coloniales, même lorsque leurs habitants sont très divisés. Bien sûr, il existe d’autres représentations géopolitiques communautaires : des clans, des tribus, des confréries, des royaumes, des peuples indigènes, des internationales religieuses (islamistes, évangélistes, catholiques, orthodoxes…). On voit aussi émerger depuis peu une conscience partagée d’être habitant de « la planète » au-delà des appartenances politique et identitaire.

Yves Lacoste postule que la Nation est « l’idée-force de la géopolitique » car elle apparaît comme le cadre le plus pertinent pour étudier la plupart des conflits et rivalités contemporaines. Il défend l’idée que la question des peuples, de leurs rapports à leurs territoires et aux groupes qu’ils voient comme des « étrangers », des « pilleurs », des « impérialistes », des « amis », traverse la plupart des thématiques, à des degrés divers. Cette assertion ne fait pas l’unanimité parmi les spécialistes. Certains auteurs (Lasserre et Mottet par exemple) pensent au contraire qu’il est nécessaire de dissocier l’approche des conflits thématiques concernant, par exemple, les aménagements, les ressources (mines, énergie, eau, agricoles), les rivalités économiques, les flux migratoires, des rivalités entre Nations, qui seraient une des multiples thématiques géopolitiques. D’autres estiment que la Nation n’est pas une catégorie scientifique et que lui accorder une place centrale revient à travailler sur des mythes ou même à les alimenter en répercutant des représentations géopolitiques nationalistes.

Néanmoins, la généralisation de la représentation de la Nation à l’échelle universelle en fait à ce jour un paradigme politique, une conception dominante qui oriente très puissamment les actions et réflexions des hommes et des femmes de notre époque. La construction progressive de l’Union européenne, par exemple, fait évoluer en profondeur les Nations qui la composent. Pourtant, de nombreux partis nationalistes réclament un retour de la souveraineté vers les parlements des États aux dépens des institutions européennes. La force du sentiment national est un élément essentiel de la géopolitique de l’UE. »



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