La gauche espagnole est-elle nationaliste ?

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Le parti d’extrême gauche Catalunya en Comú (parti de la maire de Barcelone qui a englouti localement Podemos), vient de choisir Jaume Asens, au profil proche des indépendantistes catalans, comme tête de liste pour les élections législatives du 28 avril dans la province de Barcelone. Que signifie « proche » des indépendantistes ou, comme je l’ai entendu dire, « un peu indépendantiste » ? 

La démocratie passe par la « rupture » 

L’idée de Jaume Asens est que les indépendantistes et Catalunya en Comú constituent aujourd’hui « deux courants hégémoniques du catalanisme [1]» devant saisir l’opportunité de construire « un bloc historique de rupture démocratique » d’avec ce qui est appelé le « régime de 1978 ». Cette expression est une représentation construite et diffusée par Podemos pour rattacher ces années au « régime » franquiste de manière à créer le besoin de la fameuse « rupture » qui serait par nature, ou par enchantement, progressiste. Jaume Asens parle de « criminalisation de toute dissidence » ce qui est une évidente contre vérité : tout le spectre séparatiste catalan est en campagne électorale et s’appuie sur la télévision publique régionale. L’évocation du franquisme, auquel est associé la monarchie, est un des leviers de la gauche espagnole, depuis le PSOE du président Sanchez à l’extrême gauche, pour atteindre le pouvoir. L’apparition de l’extrême droite (Vox) est, de son point de vue, une bénédiction car elle devrait permettre de mobiliser les abstentionnistes et de récupérer des voix centristes.

Le souverainisme territorial devient le cadre de la conquête du pouvoir par la gauche

Jaume Asens plaide pour un processus de rédaction d’une Constitution catalane ouvrant la possibilité d’un référendum d’autodétermination ayant précisé  au préalable les enjeux du oui et du non. Ce référendum donnerait alors « la légitimité mais surtout la force suffisante pour appliquer, et si besoin imposer » «  la souveraineté, le contrôle du territoire ou les frontières ». C’est la perspective de ce processus permettant de redessiner les règles du pouvoir qui motive l’alliance de l’extrême gauche et des indépendantistes. Le fait que cela se projette  « dans le cadre d’une république ou d’un État catalan », c’est-à-dire entre Catalans, sans le reste des Espagnols, ne semble poser aucun problème théorique ou éthique. La représentation dominante est que le nationalisme est émancipateur s’il est catalan, il est oppresseur s’il est espagnol. Dans une dynamique qui vise à conquérir d’urgence tout le pouvoir, les électeurs sont embarqués dans une association entre un souverainisme catalaniste (« un peu indépendantiste ») et le nationalisme catalan dont le projet est d’exclure ceux qui se veulent Espagnols, et ce malgré le racisme décomplexé de l’actuel président de la communauté autonome (qui a pu écrire que les Espagnols étaient des « serpents, vipères, hyènes », des « bêtes à la forme humaine »). Il semble que, à l’heure où passe le train de l’Histoire, le « bloc historique de rupture démocratique » ne veuille pas s’encombrer de  ce genre de détails. L’analyse des rouages de l’État, des libertés que pourrait refermer une république catalane (par exemple le bilinguisme espagnol-catalan, l’accentuation de l’entre soi politique), ne fait pas l’objet de débat.

Une stratégie internationale de « résistance juridique » 

Renversant le stigmate qui les dépeint comme des destructeurs de l’Espagne démocratique et pacifiée, Jaume Asens  défend qu’ils sont les seuls défenseurs de l’État de droit et que « la protestation et la désobéissance (…) sont des instruments légitimes et même nécessaires pour forcer le pouvoir à respecter sa propre légalité ». On rappellera que le jugement de douze artisans de la déclaration unilatérale d’indépendance est retransmis en direct pour donner à voir le respect de la légalité en vigueur. Les prévenus sont accusés d’avoir voulu lui substituer un nouvel ordre juridique, national catalan. L’extrême gauche et les séparatistes entendent mettre en place une stratégie d’un « front international » de « résistance juridique » auprès des milieux juridiques européens pour « disputer au pouvoir la légitimité du discours sur le Droit » et lui opposer notamment  « le rôle des droits comme limite à ses abus ».  

Au Pays basque et en Navarre, en Galice, aux Baléares, à Valence,  la gauche s’associe avec des nationalistes pour conquérir le pouvoir en défendant que la démocratie n’a de sens qu’au niveau local, contre l’État, qui est décrit comme nocif. Pour les nationalistes périphériques, l’État espagnol est l’ennemi, pour l’extrême gauche c’est l’État en lui-même qu’il faut vaincre. Les alliances se construisent sur la base de cette convergence d’intérêts, même si les nationalistes sont de droite, racistes, et veulent construire leur État indépendant. Le fait de provoquer l’instabilité à l’échelle de l’Espagne (« rupture démocratique ») n’est pas perçu comme un risque mais comme une opportunité.

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